
La violence sous ses multiples formes et déguisements contemporains
Interdisciplinarité par le dialogue entre psychologie et sociologie
Collaboration de l'Institut Alfred Adler à la Revue OT (OSSERVATORIO TERRORISMO) de l'ANSSAIF**Association Nationale Italienne des Spécialistes de Sécurité et Agence d’Intermédiation Financière
Alessandra Zambelli, Responsable Formation de l’Institut, continue la collaboration avec l’OT, sur la thématique de la violence sous toutes ses formes, notamment celle résultant du malaise des jeunes. Dans le n°17 de la Revue OT, son article (ci-dessous) aborde les activités de l’Institut illustrant les sources et la nature de cette violence contemporaine, dans une perspective adlérienne.
Cette contribution nourrit le dialogue interdisciplinaire et international tel que l’encourage l’IAAP dans sa volonté d’une épistémologie d’ouverture et d’interrelations théoriques et pratiques.

Journée Scientifique 16/03/2019
(Clic sur l'image pour accéder à l'archive)
Troisième étape pour l’Institut Alfred Adler de Paris dans son parcours de réflexion sur la nature bio-psycho-sociale de la violence en tant que réponse compensatoire inadaptée de l’infériorité, et ses liens avec le processus technologique de la mondialisation.
J’en profite pour remercier M. Pietro Blengino, Rédacteur en Chef de la Newsletter de l’Osservatorio sul Terrorismo (OT, Observatoire sur le Terrorisme) qui sait si bien mettre en évidence l’efficacité de l’interdisciplinarité, en particulier sur des sujets très concrets comme la sûreté et le terrorisme.
Cette affinité méthodologique spontanée est précieuse, car de ses perspectives diversifiées, est née une coopération de recherche scientifique, afin d’approfondir et publier sur ces thématiques de violence et d’adolescence. Thématiques que nous abordons dans le cadre de nos formations, par le biais de nos journées scientifiques comme celle du 16 Mars 2019 qui fut entièrement dédiée à ce phénomène psychologique et social au statut ambigu entre condamnation par les uns et exaltation parfois héroïque par d’autres.
Mme Alessandra Zambelli
Responsable Formation IAAP
Avec leur aimable autorisation, nous publions ici la traduction de l’Introduction en italien de la Newsletter n° 17 de l’Osservatorio Terrorismo, rédigée par le Rédacteur en chef M. Pietro Blengino. Nous publions à la suite notre article « La violence sous ses multiples formes et déguisements contemporains ». »

Pietro Blengino (Caporedattore)
ANSSAIF, Associazione culturale
INTRODUZIONE ALLA NEWSLETTER n°17 DI OT
Cari lettori,
Questa volta abbiamo avuto la tentazione di passare direttamente a OT18 saltando il numero 17. Ovviamente è stato solo un modo per ironizzare sulla nostra superstizione italica ma abbiamo fugato rapidamente i nostri dubbi e abbiamo comunque pubblicato OT17.
Battute a parte proseguiamo con il nostro approccio multidisciplinare e siamo lieti di presentarvi in OT17 la recensione del libro « Lupi bianchi. Rapporto sul terrorismo neonazista in Europa « / Weisse wölfe: eine grafische Reportage über rechten Terror » di David Schraven e Jan Fendt, letto per noi da Carla Capobianchi. È un fumetto che si basa su analisi reali e ci comunica la sensazione di una situazione preoccupante che è purtroppo trascurata. L’alert per l’aumento drammatico del terrorismo di estrema destra è sottolineata sia dall’analisi di Centro Studi Internazionali sia dai rapporti dei servizi di intelligence.
OT 17 ospita poi un articolo molto interessante di Antonio Beraldi, un HR manager di lunga esperienza, sul caso in cui avessimo un sospetto terrorista nella nostra banca/azienda. Come possiamo gestire la situazione, cosa dobbiamo fare da un punto di vista legale e quali sono le accortezze utili.
Ultimo ma non meno importante, vi proponiamo uno studio approfondito e dettagliato dell’Institut Alfred Adler di Parigi che ha accettato con entusiasmo di collaborare con noi sull’analisi dell’origine della violenza. È un argomento che consideriamo cruciale per comprendere una parte delle radici del terrorismo nella mente degli adolescenti. Allo stesso tempo M.me Zambelli illustra l’interessante calendario delle attività dell’Institut Adler nel 2019.
Siamo infine lieti di anticiparvi che stiamo lavorando a una ricerca sulla minaccia terroristica più pericolosa per il sistema bancario nell’Europa meridionale e in America Latina. Sicuramente sarete consapevole del rischio ma siamo sicuri che dall’analisi dei dati potrete trarre idee e suggerimenti utili.
Buona Pasqua a voi e ai vostri cari
La redazione
Osservatorio Terrorismo – Newsletter numero 17

Pietro Blengino (Rédacteur en Chef),
ANSSAIF, Association Culturelle
INTRODUCTION A LA NEWSLETTER n°17 DE L’OT
Chers lecteurs,
Cette fois, nous avons été tentés de sauter le n°17 pour passer directement au n°18. Cela nous aurait permis d’ironiser sur notre superstition italienne, mais nous avons rapidement dissipé nos doutes et nous avons donc publié l’ OT n°17.
Plaisanterie mise à part, nous poursuivons notre approche multidisciplinaire et nous avons le plaisir de vous présenter dans OT n°17 la critique du livre « Lupi bianchi. Rapport sur le terrorisme néo-nazi en Europe » (« Weisse wölfe: eine grafische Reportage über Rechten Terror ») de David Schraven et Jan Fendt, livre lu pour nous par Carla Capobianchi. Cette bande dessinée se base sur une analyse réelle qui transmet le sentiment d’une situation inquiétante mais hélas négligée. L’alerte au sujet de l’augmentation spectaculaire du terrorisme d’extrême droite est soulignée à la fois par l’analyse du Centre d’Etudes International (Centro Studi Internazionali) et par les rapports des services de renseignement.
L’OT n°17 propose ensuite un article très intéressant d’Antonio Beraldi, responsable des ressources humaines à la longue expérience, qui présente une situation dans laquelle un terroriste présumé fait partie du personnel de la banque. Comment gérer la situation, que faire d’un point de vue juridique et quelles sont les précautions utiles à prévoir.
A la suite, nous présentons une étude approfondie et détaillée proposée par l’Institut Alfred Adler de Paris, qui a accepté avec enthousiasme de collaborer avec nous à l’analyse de l’origine de la violence. C’est un sujet que nous jugeons crucial pour comprendre une partie des racines du terrorisme dans l’esprit des adolescents. Parallèlement, Mme Zambelli illustre l’intéressant calendrier des activités de l’Institut Alfred Adler en 2019.
Enfin, nous sommes heureux d’annoncer que nous travaillons à une étude sur la menace terroriste la plus dangereuse pour le système bancaire en Europe du Sud et en Amérique latine. Vous êtes certainement conscient du risque, mais nous vous assurons que l’analyse des données vous permettra d’en retirer des idées et suggestions très utiles.
Joyeuses Pâques à vous et à vos proches.
La rédaction
Observatoire du Terrorisme – Newsletter numéro 17

La violence sous ses multiples formes et déguisements contemporains.
Réflexion brève, sur la nature bio-psycho-sociale de la violence au coeur du paradigme adlérien.
«La violence, une force faible» (Vladimir Jankelevitch)
Nous sommes très heureux de continuer de nous adresser aux lecteurs de l’OT pour leur présenter nos initiatives, car nous apprécions et partageons l’approche multidisciplinaire choisie par l’OT pour aborder la thématique du terrorisme et de ses causes, et les origines de la violence sociétale.
Aujourd’hui, nous avons l’intention d’explorer avec vous les thèmes suivants :
- a) la relation entre le malaise des adolescents et ses nouvelles formes d’expression,
- b) la violence résultant d’une recherche extrême de sens,
- c) la dépression en réaction à une culture de l’absence de limites,
- d) le terrorisme en tant que réponse paradoxalement cohérente à ces racines psychoculturelles,
- e) le paradigme adlérien en tant que matrice de solutions multidisciplinaires,
- f) la réintégration culturelle de la féminité à ces nouvelles formes de violence en tant que « solution symbolique très concrète ».
Ce sont les sujets inclus au programme 2019 de la formation de psychanalyste adlérien à l’Institut Alfred Adler de Paris; nous nous sommes fixés comme objectif culturel ambitieux de créer un temps stimulant pour le débat scientifique européen sur le thème de la violence, de l’identité et des racines du terrorisme dans la société contemporaine.

Adolescents et violence, une approche multidisciplinaire
Reprenant le thème de l’adolescence (et ses façons actuelles et bien spécifiques de composer avec les nouvelles formes de violence adulte) à partir des points laissés ouverts dans notre précédent article (OT n°8), nous retrouvons le sujet de la Conférence tenue à l’IAAP le 16 mars dernier qui avait pour titre « les multiples formes de la violence et ses déguisements contemporains », comme prévu dans l’OT numéro 16, Conférence que nous souhaitons vous résumer ici.
La journée a débuté par l’analyse du fonctionnement de la violence domestique avec la Prof. Simona Fassina, psychothérapeute et analyste Adler (SAIGA, Turin), qui a présenté, avec une grande clarté, la structure psychique de la victime dans le couple (souvent la femme) et souligné la nécessité d’un accueil systémique et coordonné des différents services d’aide aux victimes.
Avec notre collègue la Prof. Barbara Simonelli (référente du groupe de travail sur la violence à l’égard des femmes de l’Ordre des Psychologues du Piémont), nous avons identifié la structure psychique du sujet abuseur, qui à son tour comporte une expérience (appartenant à l’enfance ) évolutive et dissociée de maltraitance et donc une partie interne inconsciente de victime maltraitée, qui provoque aversion et dérangement chez les responsables sociaux de leur prise en charge thérapeutique.
Jean-Louis Aillon est médecin et psychothérapeute adlérien (en Italie une spécialisation d’une durée de 4 ans après une master en Psychologie ou Médecine est obligatoire pour l’exercice de la psychothérapie dans toutes ses formes). Il nous a plongés au cœur du phénomène des jeunes « NEET » (non engagés dans l’éducation, l’emploi ou la formation), plus impressionnant en Italie qu’en France selon les données d’Eurostat.
Il a expliqué comment ce phénomène est lié à un mal-être adolescent en nette augmentation ces dernières décennies, et a été analysé statistiquement en termes de dépression et de suicides (Federico Batini, « NEET: un phénomène qui reste à explorer », Revue trimestrielle de l’éducation, v48 n1 p19-37 févr. 2017) , également lié au pourcentage de la population au chômage (Luigi Zoja, « Les utopies minimalistes. Un monde plus désirable même sans héros », 2013, Chiarelettere). Les données étudiées nous informent également de la recrudescence des comportements violents extrêmes, liés à l’expansion constante des technologies et l’accès toujours plus facile via Internet aux plateformes telles que Knout Out Game, Blue Whale, Fight Club, Daredevil Selfie.
Le modèle interprétatif appliqué par le Dr Aillon fait référence au modèle bio-psycho-social adlérien, désormais soutenu (sans l’étiquette adlérienne) par des psychologues, psychanalystes, sociologues, anthropologues contemporains tels qu’Umberto Galimberti, Miguel Benasayag ou Luigi Zoja. Nous savons qu’en réalité, ils reprennent non seulement Adler, mais également les thèses de Spinoza, Nietzsche et Constantin Noica. C’est dire si les oppositions de chapelle et de disciplines sont finalement surmontées pour permettre de comprendre des phénomènes qui ne seraient sinon que stigmatisés.
L’adolescence actuelle semble souffrir d’une crise existentielle peu commune, ce qui est en jeu, c’est la négation de l’avenir.
Je sais que votre association A.N.S.S.A.I.F. traite de la formation des jeunes et vise des initiatives spécifiques dédiées. C’est pourquoi, il est
important de comprendre que la souffrance des adolescents ne provoque pas de larmes, mais un sentiment d’impuissance, de désintégration et de manque de sens. Les valeurs qui portent les références pour la construction d’une identité semblent être annihilées, à cause du concept même de limite qui est brisé : puisque tout peut être poursuivi indéfiniment, aucune action ne sera réellement suffisante pour obtenir un sentiment de satisfaction, de bien-être et de succès, ce qui est pourtant nécessaire pour forger sa place dans le monde et son identité. La dépression qui en résulte, souvent inconsciente, a donc son origine dans un sentiment d’inadéquation par rapport à un objectif qui ne peut jamais être atteint, tellement il s’est éloigné du réel pour reposer entièrement sur les attentes idéalisantes des autres, de qui semble dépendre notre propre valeur intime : la valeur d’un moi intégré, mais qui, dans ce système, reste séparé. Les jeunes NEET semblent donc signaler que la culture sociale actuelle est assujettie à un narcissisme absolu où la limite est l’impossible, déguisé en «Record», le nouveau dieu incontesté, tel que j’ai pu le décrire dans notre séminaire de Novembre 2018 consacré au thème de l’exploitation de la violence du symbolique dans le monde virtuel (en réalité très concret) et donc social. Ces jeunes se réfugient par conséquent dans un monde personnel dont la seule « valeur » est l’exclusion des valeurs assumées concrètement par notre société.
Ces nouvelles générations NEET cherchent dans ce rejet critique, mais encore inconscient, des voies d’intégration sociale considérées comme normales, une nouvelle façon de procéder dans leur processus d’individuation, mais elles semblent manquer du sentiment d’appartenance suffisant pour achever le processus et rendre leur critique consciente et ouvertement sociale (Zoja, 2013). C’est un schéma typique de la «psychologie individuelle comparée» (nom qu’Adler a donné à sa psychologie) pour comprendre autant la subjectivité du patient que sa pathologie en termes de contexte, notamment socioculturel.
À partir de cette perspective, même le choix du terrorisme par certains jeunes semble pouvoir jouer le même rôle identitaire pour le Dr Elena del Santo, mais sous une forme plus externalisée : une forme d’agencement (agency) contre un non-sens dépressif, favorisé par la concaténation de circonstances et de facteurs contributifs. Comme pour les jeunes NEET, le jeune attiré par le terrorisme ne semble pas souffrir de problèmes psychologiques (John Horgan, « Terroristes, victimes et société: perspectives psychologiques du terrorisme et de ses conséquences », 2003, John Wiley & Sons Ltd), mais il est plutôt inséré dans une situation socioculturelle qui favorise la justification «morale» de la violence en réponse à une grave induction de l’absence d’objet vital, souvent lié aux blessures narcissiques de toute une communauté. Nous savons aujourd’hui que les environnements « facilitants » sont les contacts sur Internet, la détention carcérale et probablement les institutions religieuses, même si c’est dans une forme indirecte. L’analyse comparative proposée par le Dr. Del Santo avec le terrorisme des années 70 des Brigades rouges explore cette voie psychosociale. Nous souhaitons souligner le côté plus psychotique de la violence exercée par le terrorisme du 3ème millénaire, violence qui n’était pas autant accentuée et systématique chez les Brigades Rouges, autant dans leur mode associatif qu’exécutif.
Nous discernons également dans la déclaration d’Horgan une tentative légitime de provoquer un débat épistémologique sur les fondements des modèles « à-priori » des sciences socio-économiques, politiques et psychologiques, utilisés pour comprendre le phénomène du terrorisme, puisque le paradigme bio-psycho-social n’est à ce jour pas encore établi de manière scientifique interdisciplinaire et internationale.
Liens familiaux, réalité virtuelle et détresse des jeunes
Il semble donc que l’appauvrissement du lien familial et social [1], causé aussi par l’accès spontané et solitaire à la réalité virtuelle et son usage non critique, conduise à des mécanismes compulsifs de dépendance, en même temps qu’à la rupture psychique entre le Soi et l’Autre. Le jeune – comme ses éducateurs adultes – ne détecte pas l’impact psychocorporel de la confusion perceptive, désormais banalisée, entre le réel et le symbolique, non perçue en raison du fait préjudiciable que le virtuel n’est pas le réel et qu’il ne nécessiterait donc pas de compétence spéciale ni d’apprentissage spécifique, à savoir une transmission relationnelle. L’accélération de l’apport de technologies toujours nouvelles dans nos vies ne permet pas la formation de « maîtres » : on pense donc qu’il n’y a pas de transmission possible, puisqu’il n’y a pas de savoir « supérieur ». La transmission ne se conçoit pas encore comme un accompagnement horizontal et non seulement vertical, inséré dans le paradigme de la différence, typique par exemple du contexte thérapeutique dans lequel on ne pense pas à formater le patient, mais d’abord à être avec lui, à l’écoute et dans un accompagnement magistral qui implique également le changement possible du thérapeute. Comme l’a bien mis en évidence le Dr Aillon, si Freud s’adressait à une société aux prises avec un conflit névrotique entre transgression et culpabilité dans sa quête de réalisation du plaisir, ce qui gardait intact la recherche d’un sens possible de la vie, c’est aujourd’hui le modèle d’Alfred Adler qui émerge, puisqu’il peut expliquer ce sentiment fondamental d’insuffisance et d’inadéquation de l’individu qui doit se confronter à l’injonction culturelle et sociale de trouver un sens dans une surenchère sans limite ou l’impossible à réaliser est considéré comme «limite adéquate».
La psychologie individuelle, née au sein de la néophyte psychanalyse freudienne, a conçu l’inconscient humain entre deux pôles sous-jacents : l’un individuel, poussé par le sentiment d’infériorité, et l’autre plus relationnel, favorisé par le sentiment d’appartenance (Gemeinschaftsgefühl). La psyché humaine fonctionne comme un système finaliste (téléologique) qui a besoin de s’orienter vers un but ; bien que ce but soit une construction inconsciente (fiction ou schéma perceptible), il est susceptible de confrontation avec la réalité et d’adaptation, si l’esprit reste dynamique et fluide. Au moment où l’esprit appauvrit la résistance entre ces deux pôles, la rigidité défensive se met en place et les buts fictionnels deviennent inflexibles, se transformant en rationalisations idéologiques qui ne peuvent plus dialoguer avec la réalité. Cela empêche le sentiment d’appartenance de s’incarner et de jouer son rôle fondamental d’équilibre entre les instances de compensation [2] dans le processus identitaire, laissant ainsi le champ libre à la « volonté de puissance » narcissique, à la dissociation et à la dépression, à la domination violente, tels que « styles de vie » devenus dignes d’estime et d’investissement.
La théorie adlérienne analyse ainsi la violence comme une expression de l’agressivité (individuelle et collective) super-compensatoire impulsive et inadaptée, en réponse aux sollicitations extrêmes du sentiment d’infériorité que peut produire l’environnement. Cependant, l’agressivité reste en soi une énergie vitale, si elle est simplement dirigée vers l’extérieur, comme l’éthologie l’a formulé (Konrad Lorenz), énergie vectorielle qui chez l’homme dépend du système complexe de ses « fictions » internes (schémas perceptifs), exprimées par les émotions, les sentiments, les valeurs et le corps avec ses propres perceptions. Dans les premiers temps de l’élaboration de sa théorie, Adler concevait l’agressivité en termes de pulsion interne comme un concept ou une abstraction, puisqu’il percevait le risque de l’hypostasier (la réifier). Au cours de l’évolution de sa pensée, la « pulsion d’agression » fera place au concept de « pouvoir créateur » (compréhensible aujourd’hui par les concepts de « créativité du Soi » ou « Soi Créatif »). Dans les deux concepts (agressivité et créativité), nous retrouvons le rôle régulateur du sentiment d’appartenance en tant qu’instance vitale et motrice pouvant contenir, apaiser et faire évoluer harmonieusement la perception d’une infériorité individuelle universelle vers une compensation sociale de ce sentiment, orienté vers l’Autre plutôt que contre l’Autre, à la recherche d’un partage comme plaisir et réalisation personnelle et sociale, car nous aurons pu accepter le sentiment de dépendance relative que l’homme a intrinsèquement de l’Autre. L’échec de ce sentiment d’appartenance, par déracinement socioculturel, traumatismes relationnels de l’enfance ou même maladie, produit des « fictions tendancieuses » ou des directions « existentielles » non adaptatives du style de vie des individus qui peuvent aller jusqu’à des surcompensations pathologiques et violentes, qui entrainent la tendance universelle à la supériorité vers une surcompensation dominatrice : la « volonté de puissance » de source nietzschéenne.
Dépression, difficultés d’adaptation, immigration et situation des femmes : nos prochaines initiatives
https://institut-alfred-adler-paris.fr
Pour continuer ce parcours, nous organisons au mois de Juin un séminaire intitulé « Dépression, le mal du siècle » dans lequel nous aborderons l’aspect biologique avec Mme Morgane Pidoux, élève à la formation de psychanalyste adlérien également post-doctorante en neurosciences, à travers un module appelé Flash-Formation intitulé « Le corps vidé : neurophysiologie de la dépression », ceci pour promouvoir une approche interdisciplinaire du public et des intervenants. Nous aurons également une intervention très intéressante de M. Hervé Etienne, qui analysera l’aspect sociopsychologique de la dépression. Il est sociologue et psychothérapeute et travaille avec nous depuis un certain temps. Il intervient également en tant que consultant auprès d’institutions et d’entreprises qui rencontrent des dysfonctionnements organisationnels, souvent liés aux psychopathologies d’organisation. Comme toujours, nous traiterons de l’aspect psychodiagnostique et psychothérapeutique avec Barbara Simonelli, en particulier des personnalités narcissiques et dépendantes, en lien avec la dépression. Une étude sur la dépression à l’adolescence sera également présentée par Chiara Maria Mazzarino (PhD). Nous conclurons cette journée par mon intervention sur le paradigme d’infériorité, « L’Anima et le Minus », pour souligner les métamorphoses défensives dévitalisantes face à ce sentiment également lié à un environnement relationnel structurellement déstabilisant, autant dans le passé qu’au présent ou dans le futur, dimensions qui forment la véritable matière psychique.
Ce programme est précurseur du séminaire de septembre, Journée Spécialiste Interdisciplinaire, où nous analyserons la figure du médecin généraliste comme guide prioritaire dans les étapes de vie de ses patients qui peuvent s’avérer être des personnes «isolées» autant au sens social qu’au sens psychique du terme, c’est à dire trop structurellement et /ou légitimement incompétents face à leur propre situation de vie pour organiser une demande d’aide cohérente. La personne âgée, déconnectée du sentiment social, ou le nouveau-né qui ne l’a pas encore développé, sont des exemples extrêmes de sujets qui ne peuvent subvenir à leurs besoins ni à leur survie ; il incombe alors au médecin d’organiser leur prise en charge. Le médecin généraliste se trouve donc dans la nécessité de devoir apprécier de complexes situations relationnelles intersystémiques et interdisciplinaires, étant appelé à décider et à coordonner les solutions socio-médicales à mettre en place pour la personne fragile ou fragilisée.
En automne (novembre 2019), une 4ème étape sera consacrée aux nouvelles formes de violence, avec un séminaire plus centré sur les problèmes d’immigration avec en particulier l’impact traumatique du décalage culturel [3] sur l’identité féminine (thème cher à OT qui l’a abordé dans la critique n ° 11 du livre de Giulia Cerino : « Ils reviennent. Les combattants étrangers du jihad racontés par leur mère »).
Cette Journée psychosociologique reprend le thème du lien entre l’adolescence et le terrorisme, vue de l’intérieur des foyers, pour faire émerger la violence familiale comme génératrice d’une solitude psychique malsaine (en soi la solitude psychique est une fonction importante de la satisfaction identitaire, bastion déterminant de l’autonomie), car elle induit un isolement qui conduit parfois à forger un idéal rigide et extrême comme défense contre un sentiment d’absence de valeur : le sentiment d’infériorité réelle et/ou imaginaire (fiction). Le programme, qui est en cours de définition, comprendra une intervention du professeur Houria Abdelouahed (Paris 7) sur l’identité féminine et la religion musulmane; et de la psychiatre Alice Visintin du centre Fanon, sur l’immigration et le sentiment de citoyenneté dans une perspective ethnopsychiatrique et adlérienne. Moi-même j’approfondirai les déboires du sentiment d’appartenance comme base de la surcompensation violente du terrorisme. Enfin, la psychanalyste et écrivaine adlérienne Virginie Megglé formulera une analyse psychanalytique sur la problématique de l’idéologie identitaire, sans rapport avec un territoire d’appartenance réel et vécu ainsi projetée vers une terre promise. Nous espérons accueillir un expert en géopolitique et système de sécurité nationale lié à la sécurité nationale française pour mettre en dialogue nos différents savoir-faire et apprendre à évoluer ensemble.
Ce programme souhaite faire la part belle à une problématique très adlérienne, celle de la féminité, que nous considérons comme paradigmatique pour toutes les identités. Pour Adler, la féminité (de l’homme et de la femme) a été et demeure symbole et réalité d’une infériorité dépréciée et soumise (socialement compensée par une idéalisation autant virginale et sacrée qu’inaccessible), dans un monde qui a opté depuis des millénaires pour la « surcompensation fictionnelle d’une virilisation socioculturelle » [4], sous des formes de domination, de perfectionnisme sadique, de concurrence illimitée, de violence. La place accordée à la féminité au cours des siècles représente en réalité un mode de défense autant inconscient que conscient de la civilisation humaine pour contrôler le sentiment d’infériorité que nous procure le contact avec la différence de l’Autre, lorsqu’il nous renvoie à notre fragilité, en particulier face à un être paradoxal, très puissant pour concevoir la vie, la nôtre, et pourtant si fragile qu’il est capable d’en souffrir et d’en mourir sans en comprendre les raisons. Les formes de violence sont, en termes adlériens, les formes rigides de cette compensation excessive (pour les hommes comme pour les femmes), où le sentiment d’appartenance ne pourrait pas s’enraciner. Aujourd’hui, les femmes immigrées, même celles de deuxième et troisième génération, se trouvent au croisement d’une confrontation interculturelle dont l’impact est aussi invisible qu’impitoyable. Elles le mesurent d’abord avec leur propre corps, prenant à peine conscience de leur urgent et profond besoin de sens face à cette inadéquation et à cette confrontation. Ce n’est que par le calvaire d’une détresse psychique sans langage ni dialogue qu’elles arrivent parfois à nous thérapeutes. Les accueillir dans le contexte thérapeutique est toujours une expérience perturbante et créative d’une grande poésie.
En guise d’au-revoir, ces deux petites phrases citées par Mme Houria Abdelouahed [5] de son mystique préféré, le grand professeur soufi Ibn Arabi : « Stérile [littéralement : » quelque chose sur lequel on ne peut pas compter « ] est le lieu qui n’accepte pas le féminin », puisque : « L’humanité n’est pas la masculinité [ou la virilité] » [6].
Les deux auraient pu être écrits par Alfred Adler.
Dott.ssa Alessandra Zambelli
Superviseur Psychothérapeute Analyste Adlérienne,
Responsable des relations internationales et
des formations de l’Institut Alfred Adler de Paris (IAAP)
[1] Thème que vous avez abordé dans le numéro 5 de l’OT lors de la relecture du livre de Luigi Zoja ”Dans l’esprit du terroriste. Conversation avec Omar Bellicini ”.
[2] La notion de compensation, centrale dans la théorie d’Adler, est d’abord élaborée à partir de l’analyse corporelle de l’infériorité d’un organe, en tant que fonction capable de remédier à la déficience initiale par une surcompensation progressive de l’organe inférieur lui-même ou sur la symétrique proximale, ou par une action indirecte réalisée par la fonction psychique, telle que la perception ou la mémoire, mais également par le comportement. Cette fonction vicariante a été confirmée en 1932 par le chercheur américain W.B. Cannon comme « loi de l’homéostasie » (Walter Bradford Cannon, The Wisdom of the Body – La sagesse du corps- , 1932, W. W. Norton & Company, New York). Adler a compris que tout ce qui, dans la nature, se trouve en état d’infériorité tend spontanément vers la supériorité et s’efforce de réagir avec une vigueur particulière aux stimuli qui l’assaillent. Par conséquent, la compensation permet à l’organisme d’atteindre un niveau de sécurité suffisant pour sa survie.
Cette attitude vectorielle est également inscrite dans l’esprit, en particulier l’humain, structuré de manière logique et téléologique, c’est-à-dire un système unitaire de perception, d’analyse et d’anticipation finaliste qui doit toujours être doté d’un objectif conscient et inconscient, ce dernier identifié comme fiction.
La fiction est une structure de l’inconscient qui fonctionne comme une forme symbolique, articulée de manière téléologique, qui dirige toutes nos impulsions et nos attitudes, et constitue de véritables dispositifs psychiques et techniques.
Adler fonde son analyse du fonctionnement mental sur la « Philosophie du Comme Si » du philosophe pragmatiste post-kantien Hans Vaihinger, publiée en 1911, année de sa séparation de Freud pour fonder la Société de psychologie individuelle comparée, et publier en 1912 son texte principal : Le tempérament nerveux.
La psyché est donc conçue comme un système finaliste unitaire qui, pour fonctionner, a toujours besoin de se fixer un objectif unique pour s’orienter dans la réalité, et y adhérer lorsque la fiction reste dynamique, ce qu’Adler désigne comme une fiction « directive ». La fiction devient super-compensatoire si elle se rigidifie sous l’impulsion du sentiment d’infériorité, Minderwertigkeitsgefühl, donnant lieu à la psychopathologie et à la violence, et prenant le nom de fiction « tendancieuse » parce qu’elle est maintenant déconnectée de l’échange dynamique avec la réalité.
Pour Adler, le conflit ne se situe plus entre des pulsions individuelles, mais entre l’individu et son environnement, qui est avant tout relationnel. L’élément équilibrant pour l’esprit humain, le seul qui lui permet de s’élever et de s’affranchir du sentiment d’infériorité de mémoire rousseauienne, élément universel pour la condition humaine qui traverse une longue période de plasticité infantile, est ainsi pour Adler le sentiment d’appartenance, Gemeinschaftsgefühl.
Le petit d’homme atteint la conscience intégrée et équilibrée entre les instances affirmatives liées au sentiment d’infériorité et les instances coopératives stimulées par son besoin de tendresse et d’empathie, Zärtlichkeitsbedürfnis, et son histoire relationnelle avec les affects fondamentaux.
[3] Terme indiquant la différence entre deux cultures ou plus (nationale et/ou tribale, ou locale) qu’un individu doit composer dans une situation d’immigration. Je préfère utiliser le concept de « décalage », déphasage, plutôt que celui de choc culturel ou de choc des cultures, car il indique une possible neutralité émotionnelle (non traumatisante) dans les connections culturelles que les première, deuxième et troisième génération d’immigrés sont nécessairement amenés à métaboliser, en relation aux différentes sources et formes culturelles. En fait, cette confrontation culturelle implique souvent une surcharge d’informations, la barrière de la langue, un écart générationnel plus important, un éventuel écart technologique, ainsi que le classique « mal du pays ». Tous des éléments potentiellement fortement stressants.
[4] Adler a observé, dès le début du siècle dernier, que l’enfant apprenait tôt à se sentir plus fort en imitant la figure paternelle et à calmer ainsi son sentiment d’infériorité de manière fictive par le biais de cette surcompensation légitime, symbolique et évolutive qui lui restera comme une empreinte. L’accusation qu’Adler apporte à la société de l’époque, et qui s’applique encore à la nôtre, est que la civilisation n’est pas allée plus loin que cet enfant : elle a opté pour une valorisation socio-économique et culturelle des traits masculins comme emblème de la « Volonté de puissance » (terme qu’ Adler a emprunté à Nietzsche) au détriment des traits féminins, sans autre raison que de calmer le sentiment d’infériorité inconscient et non intégré, en l’hypostasiant et en le reléguant à la seule condition féminine, et en opérant des équivalences illégitimes et fictionnelles de féminin = inférieur = femme, viril = supérieur = homme. Ce processus projectif ne permet pas à notre société d’évoluer en adhérant à la réalité de nos besoins et de nos plaisirs profonds, car il repose sur un mécanisme de défense de déni du sentiment d’infériorité, plutôt que sur son intégration réelle. Le génie d’Adler est de l’avoir observé aussi chez les femmes, le nommant « protestation virile », car il apparaît évident chez ces personnes qu’elles doivent nier tous les traits féminins comme s’ils étaient honteux, humiliants : le garçon manqué ou la «mâle» ».
[5] Voir doppio zero (double zéro) https://www.doppiozero.com/materiali/donne-violenza-e-islam
[6] Houria Abdelouahed : Psychanalyste, professeure agrégée et directrice de la recherche du département des études psychanalytiques de l’Université Denis Diderot (Paris 7), membre du CNRS, auteure entre autres du livre lauréat du prix de l’évolution psychiatrique « Figures du féminin en islam », ( PUF, 2012).